Vide et avidité
Je crois que le fait de ne pas lire pendant une semaine me fait le plus grand bien. Je remarque que je n’ai pas besoin de lire pour comprendre, pour connaître, pour savoir, pour me souvenir, pour recevoir des informations. Ça vient tout seul : je peux canaliser ces informations, faire appel à mon intuition et mon inspiration, ma spiritualité ; et la lecture, au contraire, bloque ces processus. Pour le tarot* et le Yi Jing*, regarder les images me parle plus que lire les textes qui les accompagnent. Ceux-ci sont une connaissance (ou une compréhension) de seconde main, celle de quelqu’un d’autre, pas celles de la source ou la mienne, qui, au niveau non verbal ou conceptuel, sont une. En fait, si je cesse de me fixer aux mots, la sagesse coule librement.
Depuis quelques jours, il me semble que ça bouge, je comprends de nouvelle choses, suite peut-être à The Artist’s Way*, aux vidéos d’Écoute ton corps, à Caroline Myss, au Raja Yoga*. Hier, par exemple, je ressentais ce vide dont parle l’ennéagramme* pour le type 5, que je ne comprenais jamais très bien. J’ai par moments cette sensation très forte qui crée l’avidité, par exemple pour la nourriture ; un besoin compulsif d’absorber quelque chose, comme hier sur le marché : je voulais absolument manger quelque chose de bon. Je voyais du canard, des gâteaux, de la mangue avec du riz collant, des confiseries thaïes. Mais le moi qui veut manger sainement m’interdisait ces fruits défendus, et j’ai englouti quatre bananes dans la voiture. Je me suis ensuite arrêté au marché de nuit, en bas de Chotana Road, et j’ai inspecté tous les stands ; mais là aussi, ce sont des nourritures interdites. Et je suis allé méditer au Raja Yoga, sans avoir comblé ce vide (affectif).
L’avidité de sexe ; le seeking mind : l’avidité de lecture, de connaissances, d’enseignements ; et l’avidité de travail, d’activités, l’agitation : toujours besoin de faire quelque chose, pour combler ce vide immense et menaçant qui risque de m’engloutir. Ce vide est-il aussi lié à l’air, au saut dans le vide, au vertige en haut de la falaise et à la peur de sauter ; et aussi à la fascination de voler, de dominer le vide ? Celle qui est sans doute encore la plus forte, c’est l’avidité de penser. Elle n’est pas seulement une avidité, un besoin ou une compulsion, mais un processus, qui tourne sans arrêt, qui ne s’arrête plus, qui devient rêve la nuit, et qui, depuis quelque temps, ne cesse même plus pendant la méditation, même s’il est un peu en sourdine. C’est ce vide-là qui est le plus menaçant, le vide de l’esprit, qui menace notre existence même, notre impression d’exister, « je pense donc je suis », l’ego, l’individualité ; la personnalité est tellement liée à la pensée que le vide de l’esprit est pour elle synonyme d’extinction, de cessation ; et c’est bien de cela qu’il s’agit, de la Troisième Noble Vérité*.
Lorsque nous acceptons de sauter dans le vide, de laisser mourir le penseur, nous découvrons la paix, la plénitude, l’amour, l’harmonie, la connaissance… sans limites. Nous nous branchons sur la fréquence de la source, de l’univers, de la lumière ; nous quittons le matériel pour le spirituel, nous devenons un être de lumière, d’énergie, un être incorporel, une force angélique, un bouddha, nous devenons Dieu ; nous devenons enfin nous-même, nous retrouvons notre vraie nature, nous nous souvenons de toutes les informations qui sont encodées dans nos gènes, nous nous illuminons, nous renonçons à l’ignorance qu’est la pensée conceptuelle, que sont les mots ; nous percevons les potentialités cachées (enceintes) dans le vide, la force de ce vide, sa pureté, sa clarté, son énergie. Quand nous nous ouvrons à lui, nous laissons engloutir, nos limites physiques, matérielles, sont pulvérisées ; nos croyances, nos peurs, nos blocages, nos blessures, notre karma, sont anéantis, deviennent néant, vide, et plus rien de matériel ne peut nous menacer, nous influencer, nous inquiéter ; car ces choses ne peuvent exister dans le vide, sinon comme des images, des illusions sans aucune substance ou réalité concrète. C’est pourquoi l’idée de combler le vide est absurde, c’est une pure perte de temps et d’énergie, car la profondeur du vide est infinie, insondable, et rien ne peut combler ou diminuer le vide.
* Tarot : il s’agit du tarot Rider-Waite, dessiné par Pamela Colman Smith sous la direction d’Arthur Edward Waite.
* Yi Jing (chinois) : littér. le classique des changements. Il s’agit du Livre des mutations, un des classiques de la culture chinoise qui décrit 64 situations types représentées par des hexagrammes. Le Yi Jing est un livre de sagesse que les Chinois utilisent depuis plus de trois mille ans comme oracle. Les noms des hexagrammes ainsi les textes du jugement et des lignes mentionnés sont empruntés à la traduction littérale de Cyrille Javary (Yi Jing, le livre des changements, de Cyrille Javary et Pierre Faure).
* The Artist’s Way : livre de Julia Cameron qui propose un programme de douze semaines pour libérer sa créativité, dont une semaine sans lecture. Titre de la traduction française : Libérez votre créativité.
* Raja Yoga : méditation enseignée et pratiquée dans les centres de Brahma Kumaris (organisation internationale d’origine indienne). Je fréquentais régulièrement celui de Chiang Mai.
* Ennéagramme : système d’étude de la personnalité humaine introduit en Occident par Gurdjieff au début du 20e siècle. Il décrit neuf types de caractère dont les liens sont représentés par les côtés d’un diagramme polygonal à neuf sommets appelé ennéagramme.
* Quatre Nobles Vérités : ce sont les Vérités de la souffrance, de l’origine de la souffrance, de la cessation de la souffrance et de la voie conduisant à la cessation de la souffrance, ou Noble Voie Octuple. Les Quatre Nobles Vérités sont considérées comme la base de l’enseignement du Bouddha et sont reconnues comme telle par tous les bouddhistes.
30 novembre 1998, Chiang Mai