L’impermanence
Tous les phénomènes sont impermanents, insatisfaisants et impersonnels : pour les bouddhistes, ce sont les trois caractéristiques* de toute chose dans le samsara*. Mais l’impermanence me semble aussi une des causes des deux autres.
Si les choses sont insatisfaisantes, c’est souvent parce qu’elles sont impermanentes, fugaces, qu’elles n’offrent aucune stabilité, aucune sécurité, aucun point d’appui ou de référence fixe.
Si les choses sont impersonnelles, c’est aussi en grande partie parce qu’elles sont impermanentes, car une personnalité doit se fonder sur des caractéristiques, sur un passé, une histoire, sur des références, des exploits et des succès ou des faiblesses et des erreurs, sur une connaissance ou une reconnaissance de quelque chose de stable et de continu. Ce qui est fugace, instable, mouvant, ce qui n’a pas de structure, d’essence, de substance, de qualités inhérentes ne peut pas avoir de personnalité…
La seule chose fixe, la seule référence solide de toute chose, est précisément son absence de solidité, de toute référence, c’est-à-dire son impermanence ; et tout ce qu’on considère comme permanent – notre ego, notre personnalité, nos idées, nos concepts – sont des illusions vides de toute existence solide et permanente…
Mais toutes ces choses impermanentes continuent à nous apparaître comme permanentes… et cette ambivalence est la cause de leur nature insatisfaisante : quand on aimerait qu’elles existent réellement, on se rend compte qu’elles nous échappent, et quand on aimerait qu’elles n’existent pas, elles se manifestent avec force.
* Trois caractéristiques (pali : ti-lakkhana) : les trois caractéristiques de l’existence et de tous les phénomènes (selon le bouddhisme) sont anicca (l’impermanence), dukkha (l’insatisfaction) et anatta (l’impersonnalité).
* Samsara (pali) : littér. transmigration perpétuelle. Désigne le cycle des renaissances – le monde conditionné dans lequel nous vivons – qui, tant que nous n’en avons pas perçu la nature illusoire et le considérons comme la seule réalité, est comparé par le Bouddha à un océan de souffrance.
1er avril 1993, Hua Hin